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vendredi 17 mai 2013

Le tweet : une forme littéraire ?



http://www.mise-en-mots.net/oulipo-twitter-nouvelles-en-trois-lignes-reflexions-sur-la-nano-litterature/

Oulipo, Twitter, Nouvelles en trois lignes : Réflexions sur la nano-littérature

18DÉC
A mesure que se développent les nouvelles technologies, la littérature, elle aussi, a tendance à évoluer. Tout va plus vite, personne n’a plus de temps. Bientôt, le roman comme nous le connaissons aujourd’hui – vous savez, des lignes et des lignes de mots alignés sur des feuilles de papier – n’existera plus. Il n’y aura plus que de la littérature augmentée, avec vidéos, musique, et tant d’autres choses dont nous n’avons même pas idée. Parce que les gens se lassent plus vite, se concentrent moins longtemps.
J’aurais pu dire cela, sans doute. Vous servir sans réfléchir le refrain du « c’était mieux avant ». Parce que c’est vrai que l’arrivée de l’informatique et des supports numériques est une réelle évolution, aussi importante dans nos vies, sans doute, que l’invention de l’écriture ou de l’imprimerie.
Alors, oui, il est possible que la littérature (à tous les sens du terme, ne soyons pas sectaires), disparaisse. Je ne suis pas devin. Mais je n’y crois pas. La littérature… comment pourrait-on la définir ? Personnellement, j’aurais tendance à dire « l’art de raconter des histoires ». Je trouve que c’est assez vaste pour tout englober, du roman de gare à la pièce de théâtre, de la poésie à l’essai philosophique. Et cet art a toujours existé. Avant qu’on écrive, il y avait déjà des philosophes, des peintures rupestres… Avant qu’on sache faire des livres, il y avait des troubadours et des troupes de théâtre. Aujourd’hui, il y a tout cela (sous de nouvelles formes, mais les bandes dessinées ne sont au fond pas si différentes des vitraux des cathédrales, et les speakers à la radios ont sans doutes des ancêtres baladins…). Les choses changent, mais elles restent les même, au fond. Il ne s’agit ni plus ni moins que d’hommes et de femmes qui ont besoin de rêver. Oui, vous avez bien lu : besoin, comme dans besoin physiologique. Boire, manger, dormir, et rêver. Oh, certes, les aspirations évoluent au fil du temps et des civilisations. Avant, on rêvait de manger à sa faim ou de tuer un mammouth. Aujourd’hui, on rêve de richesse, de célébrité, d’élévation spirituelle. Mais au fond, c’est la même chose…
Brancusi : Muse_endormie
Enfin, assez de cette philosophie de bazar. Pourquoi est-ce que je vous raconte tout ça ? La littérature, une partie émergée de l’iceberg des rêves humains, est semble-t-il en train d’évoluer. Parce que beaucoup de choses vont plus vite et que tout le monde (beaucoup de monde) a accès à de nouveaux moyens de communication et d’expression. Vous n’avez jamais été étonné par le nombre de blogs, l’explosion des réseaux sociaux ? Pourquoi tout cela ? Parce que rêver, s’exprimer, se raconter, est un réel besoin pour tellement de gens.
Alors oui, chacun a sa manière de « dire » les choses. Par des mots ou non. Avec toutes les imperfections qu’on voit parfois, mais qui après tout sont humaines.
Enfin, bref, pour en revenir au sujet principal de ce post, je me suis rendu compte récemment qu’une nouvelle forme de littérature était en train d’apparaître. Ce que certains appellent la nano-littérature, ou la twittérature. Qu’est-ce que c’est que ça ? Faites attention si vous cherchez sur votre moteur de recherche préféré, vous risquez de tomber sur un livre – qui au demeurant a l’air fort amusant – qui résume un grand nombre de livres classiques en moins de 140 caractères. Mais la twittérature, ce n’est pas ça. C’est en réalité l’utilisation de la contrainte des 140 caractères dans une œuvre littéraire. On y trouve, en vrac, de très courtes nouvelles, des phrases poétiques, des romans écris au fil des tweets…
Twitter
Très intéressant, vous dites vous… Ou peut-être êtes-vous en train de penser que décidément, tout le monde se targue de littérature. Peut-être encore vous dites vous que le monde court à sa perte parce que les gens perdent le goût de prendre leur temps… A moins que vous ne vous disiez, comme moi : « Mais, ce n’est pas nouveau du tout, tout cela ! ».
Et oui ! Avant… avant, il y a eu Pascal et ses pensées, Fénelon et ses nouvelles en trois lignes, et tous les auteurs de haïkus, et les « very short stories » d’Hemingway, et les poètes fous de l’OuLiPo. L’art du fragment existe depuis belle lurette, et n’a fait que changer de nom, encore une fois… C’est tellement difficile de faire du neuf, on a parfois l’impression que tout a été dit…
Pourtant, il y a dans cette approche minimaliste de la littérature quelque chose de fascinant. Comme si cette forme de pensée morcelée était – je ne sais pas comment l’exprimer mieux – un texte à trou que chacun doit remplir et qui atteint ainsi une forme nouvelle d’universalité. Alors oui, j’ai envie de m’y plonger un moment. Peut-être est-ce le contre coup des phrases trop longues du mois de novembre… Peu importe, en fait : j’ai eu envie de m’y plonger, et je me suis inscrite.
Je ne sais pas… Je crois que j’y reviendrai ces prochains jours, ces prochaines semaines. Il y a tellement de choses à y faire, je crois…
Twithaiku : haiku sur twitterEn attendant, j’ai décidé de participer au concours de Twithaikus (informations ici). D’ailleurs, si vous avez envie de me suivre sur twitter, chercher @koka_light…



Interview de Jean Yves Fréchettes "la nanolittérature" :




http://www.lapresse.ca/le-soleil/opinions/chroniqueurs/201210/16/01-4584024-la-twitterature-cet-art-medieval.php

La twittérature, cet art médiéval...

Mylène Moisan
MYLÈNE MOISAN
Le Soleil
(Québec) Il y avait mardi, à Québec, une première. Le tout premier Festival international de twittérature, phénomène littéraire né de la cuisse de Twitter, où il faut condenser sa prose en 140 caractères. Nouveau? Vraiment? Pantoute. L'art d'écrire court ne date pas d'hier, même pas d'avant-hier.
On peut reculer de 1000 ans. Se téléporter au Japon dans les appartements d'une poétesse, Sei Shönagon, qui écrivait en fragments ses états d'âme, ses coups de coeur et ses coups de gueule. Tout nouveau genre littéraire, le zuihitsu - écrits au fil du pinceau - est né au beau milieu du Moyen Âge. Facebook et Twitter peuvent aller se rhabiller.
Le phénomène n'est pas neuf, donc. Vieux comme le monde ou presque. Le zuihitsu japonais est devenu twittérature, la nouvelle mouture impose un plafond de caractères et promet une diffusion simultanée. C'est surtout ça qui branche nos twittérateursmodernes, de se savoir lus tout de suite, de se voir retweetés.
Toujours est-il que mardi, l'art d'écrire court a fait parler long. À commencer par l'auteur et éditeur Gilles Pellerin, qui avait écrit un grand plaidoyer pour la twittérature, «la sagesse en formules», qu'il a découverte sur le tard. «Je suis d'autant plus convaincu que j'ai été lent à l'être.» Sa maison d'édition a un nom prédestiné, l'Instant même, habituée - et fière - de faire dans les genres littéraires mal-aimés.
Étrangement, la twittérature, nanophénomène dans l'univers du microblogage, dérange les puristes de la littérature. Impossible, disent-ils, de comprimer l'acte de l'écriture en
140 caractères. Insultant, chuchotent-ils encore, d'appeler art ce qui n'est que sucre en poudre pour lecteurs volages.
Les puristes devront s'y faire, les réseaux sociaux sont la consécration du moi. Je tweete, donc je suis. Je suis twittérateur, donc je publie. Ceux qui les aiment les suivent, ceux qui n'aiment pas lire à coups de 140 caractères n'ont qu'à se taper La comédie humaine de Balzac. Guy de Maupassant et Antoine de Saint-Exupéry ne faisaient pas non plus l'unanimité chez leurs contemporains. Je ne dis pas que Pierre-Paul Pleau est Saint-Ex, je dis qu'on ne peut pas plaire à tout le monde.
Et tant mieux.
Jean-Yves Fréchette, alias @pierrepaulpleau, un des précurseurs de la twittérature au Québec, a servi une bonne anecdote. «C'était il y a deux jours. Il était minuit moins quart, j'étais sur le point d'aller me coucher. Je vois que Pierre Duchesne me retweete, le nouveau ministre. Merde, je parle à Pierre Duchesne!» Et qu'a-t-il donc relayé? «L'intelligence transversale du métal ne pénètre jamais au coeur des synapses. L'équation du romantisme demeure nébuleuse pour les automates.»
Un ministre de l'Enseignement supérieur amateur de twittérature, ça tombe à point. De plus en plus de profs passent par Twitter pour faire écrire leurs élèves, 140 caractères à la fois. Une approche par très petits pas. Ils le font malgré l'accès aux technologies qui est encore parfois déficient dans les écoles, de ces fameux tableaux intelligents qui arrivent au compte-gouttes. Le message a été lancé mardi au cours d'une table ronde par un professeur au cégep. Le voilà retweeté.
Je me suis mise à la twittérature après en avoir entendu parler pendant trois heures. Je suis allée lire quelques-uns des auteurs qu'on avait invités. La question n'est pas si c'est bon ou pas. C'est j'aime ou j'aime pas. J'aime peu. Quelques beaux traits d'esprit, de belles tournures de plume. Peu d'émotions.
Je vous laisse juger de ce que j'y ai glané :
«Vos pairs se repaissent de tragicomédies. D'improvisations ampoulées. De dérapes émotives. Cessez de capoter : initiez-les à la twittérature
- @multimot
«Courir après sa queue et courir après l'amour : plus le temps passe et plus j'ai peur que le résultat soit le même.»
- @white_hector
«Il est très bon de faire du jogging et du cardio. Ne serait-ce que pour pouvoir courir très vite si un jour on devient un zombie.» - @simonpaquet
«Cette psychanalyse l'avait ruiné : peut-être avait-il vaincu ses démons, mais il tirait maintenant le diable par la queue.» - @machinaecrire
«La twittérature, c'est comme la chasse aux lucioles.» - @nanopoesie
Contrairement aux lucioles, la twittérature ne s'éteindra pas. Elle gagnera ses lettres de noblesse un jour, probablement quand elle sera dépassée par un autre épiphénomène qui indisposera encore davantage les puristes.
Et, pour ceux-là qui s'accrocheraient à son caractère éphémère pour souhaiter secrètement qu'elle disparaisse, sachez que tout ce qui s'écrit sur la twittosphère sera amoureusement archivé à la bibliothèque du Congrès américain.
Oui, absolument tout.



http://www.lesinrocks.com/2013/05/11/livres/le-tweet-une-forme-litteraire-11394150/#.UZCHOLYssZs.twitter

Le tweet : une forme littéraire ? par Nelly Kaprièlian pour les inrocks

Accro à Twitter, Bernard Pivot vient de publier Les tweets sont des chats (Albin Michel), une compile de ses meilleurs tweets. On pardonnera tout à un homme qui consacre un chapitre entier aux #Etoiles filantes, même ça : “La plupart des étoiles filantes transpercent le ciel et d’autres, hésitantes, semblent être des fusées oubliées du 14 Juillet.” Bon, disons. Au fond, ce qui fait le charme du Pivot “twitteur”, c’est son âge : “On lira plus loin un tweet dans lequel je compare l’effet twitter sur les personnes âgées à la Jouvence de l’Abbé Soury.” Certes, mais est-ce à dire que le tweet ne serait pas une forme littéraire, que toute profondeur y serait d’emblée bannie ?
Depuis la nuit des temps, les écrivains semblent avoir écrit des textes prêts-à-twitter. Prenez les haïkus par exemple, ou les formules d’Oscar Wilde. Pour la pensée, c’est pareil : les aphorismes de Nietzsche feraient des tweets géniaux – d’ailleurs un compte Twitter consacré aux Nietzsche quotes a été créé. Mais pour se convaincre que le tweet peut devenir une véritable forme littéraire, il faut lire la nouvelle de Jennifer Egan, La Boîte noire, twittée d’abord sur le compte du New Yorker, puis sur le site des Inrocks en mars dernier, publiée enfin en livre offert en librairie pour 15 euros d’achat dans la collection La Cosmopolite de Stock. Jennifer Egan y raconte par fragments une histoire d’espionnage désopilante. Le format court lui permet de développer un humour à sec qui flirte constamment avec l’absurde. Grâce à cette forme éclatée, Egan signe un pastiche du genre, dans tous les sens du terme, et passe au vitriol les rapports homme-femme. Dénué de tout bla-bla vu le format, le livre ressemble à une caricature de ces livres de conseil. Assez génial.T
Ce qui est intéressant dans cet article c'est la résonance à des styles littéraires comme les "haïkus" (Il s'agit d'un petit poème extrêmement bref visant à dire l'évanescence des choses.) ou encore aux aphorismes de Nietzsche (une sentence énoncée en peu de mots — et par extension une phrase — qui résume un principe ou cherche à caractériser un mot, une situation sous un aspect singulier. D'une certaine manière, l'aphorisme se veut le contraire du lieu commun. Par certains aspects, il peut se présenter comme une figure de style lorsque son utilisation vise des effets rhétoriques, Wikipédia).
Le tweet ici peut être considéré comme une véritable forme littéraire.

Table ronde littéraire du Festival international de twittérature de Bordeaux

(Horaires confirmés)
Première table ronde littéraire : "La twittérature avec ou sans rature"
Samedi 30 mars, de 10h30 à 11h30 à l'Athénée (à côté de la mairie de Bordeaux)

La twittérature n’est pas que la "tweet et rature". Elle est porteuse de sens et de tradition, elle est titulaire d’avenir. Elle se nourrit du jeu des formes, de leurs nécessités, en provoquant des audaces exploratoires. Héritière de la nanolittérature, elle s’inscrit dans l’un des courants les plus actuels des nouvelles communications électroniques. Véhiculée par le Web, la twittérature emprunte le canal de Twitter, un micro-blogue d’envergure aux contraintes drastiques : impossible d’y publier des textes possédant plus de 140 caractères. Cette limite est une norme, une règle et pour tous un modus operandi. Elle s’est vite imposée comme un tremplin pour l’imaginaire des poètes qui, comme ceux de l’OULIPO, savent que la contrainte en écriture force l’intelligence à trouver sa formule. Essentiellement, la twittérature, cette littérature minuscule qui circule sur Twitter, est rimbaldienne par essence : ayant trouvé sa forme, elle cherche sa formule. La twittérature ne fait que ça : proposer des formules. Fragments brefs, distribués aléatoirement sur le fil des abonnés, entrecoupés d’annonces, de nouvelles, de références, de rumeurs, d’opinions et… de faussetés.
La twittérature et tweeti quanti…

La twittérature naît de ce besoin de témoigner dans l’urgence en dehors de toute preuve. Mais témoigner de quoi ? De la pensée ? De l’émotion ? Du dégoût nécessaire ? De la bonté incertaine ? Du « dur désir de durer » (Paul ÉLUARD) ? La brièveté n’est pas une démission devant les entourloupettes du réel. Le twittérateur est à la recherche de l’unique formule, du « point diamanté actuel » (René CHAR) qui rassemble toutes les interprétations, toutes les explications. Le tweet est toujours du côté de la vérité. Il ne perpétue pas le mensonge des mandarins du pouvoir. « L’intensité elliptique » de RIMBAUD (Yves BONNEFOY) rejoint celle du twittérateur, pressé entre l’obligation de tout dire en si peu de mots et la nécessité de tout révéler en trop peu de temps. Le twittérateur vieillit plus vite que la plupart de ses contemporains puisque c’est la lucidité qui le gouverne. En ce sens, il habite déjà le futur.




http://blog.tcrouzet.com/2013/03/03/investir-les-espaces-numeriques/

Le twittérature vient peut-être de ce désir d’occuper Twitter.
Et si la twittérature était, en effet, une façon de squatter l’espace public, une façon de le détourner de la marchandisation, de la banalisation du personal branding.
S’exprimer, c’est se signer. Donc se mettre en avant. Mais on peut le faire avec élégance, en ajoutant de la beauté dans un espace voué à l’utilitarisme et au profit.
Je ne m’étais jamais considéré comme un tagueur. Et j’ai longtemps taguer Twitter. Je continue en ce moment même en répétant automatiquement mon slogan : L’histoire de la twittérature est ici.
Même le spam peut être regardé comme une forme d’art. Et tous les blogueurs, paix à leur âme, taguent le Net voué aux marchands. Il ne reste plus qu’à inventer une façon de taguer les pages des eboutiques. J’y réussis sur Amazon en y glissant mes livres, c’est insuffisant. J’y ai réussi doublement en glissant en haut des résultats Google un papier négatif sur le Kindle Paperwhite. Encore insuffisant. Je voudrais décharger des bombes de peinture fluo.
Je devrais, comme le faisait jadis Demian West, poser partout où c’est possible des commentaires subversifs. Et Demian m’apparaît alors comme un précurseur du street art numérique. La twittérature est un art de rue. Un art interdit, non officiel. Et si c’était lui qui au final devenait le seul art d’aujourd’hui. Publier là où c’est interdit. Publier autre chose que ce qui est attendu. Jouer de la techno pour combattre la normalisation.


http://blog.tcrouzet.com/2012/11/11/la-twitterature-nest-pas-un-nihilisme/

La twittérature n’est pas un nihilisme

Thierry Crouzet - Dimanche 11 novembre 2012, 09:06 - 247 lecture
En écrivant ma lettre à un jeune twittérateur imaginaire, je suis tombé sur un billet d’une non moins jeune littéraire qui traite la twittérature, qu’elle n’a jamais lue je suppose, de nouveau nihilisme.
J’ai senti son dégoût du Nouveau Roman, son goût pour les valeurs affirmées, quasi idéales et immortelles qu’enfermerait la littérature, goût qui découle d’une vieille tradition essentialiste qu’affectionne les professeurs (car elle les justifie dans leur position). Et j’ai éprouvé le besoin de répondre.
J’écris ces lignes en même temps qu’un de mes amis auteurs est en train de mourir. Pourquoi croyez-vous que nous écrivons ? « Nous plaindre », croyez-vous. « Invoquer une réalité supérieure », supposez-vous. Vous n’y êtes pas. Nous écrivons simplement pour vivre, pour jouir de la vie, en dépasser les pesanteurs ici et maintenant. L’écriture est jeu, défi avec soi-même et avec les autres, elle est jubilatoire. Toute expérience est la bienvenue. Elle se dissoudra plus tard dans les méandres de la langue eux-mêmes avalés par les profondeurs du temps.
Alors, qualifier de nihiliste la twittérature, c’est passer à côté de toute la littérature profane. Cette littérature gazouillée est jeu. L’affirmation qu’il n’y a rien de sérieux, la vie commence et s’achève dans un grand vide, entre-temps nous nous saisissons de la moindre possibilité de l’enchanter. La twittérature est le contraire même du nihilisme. Elle affirme qu’il existe une merveille au temps même où nous la vivons, l’écrivons, la lisons. Avec l’acceptation que tout cela se dissoudra bientôt avec nos pauvres corps.
De cette voie joyeuse, il sortira peut-être des chefs-d’œuvre, des divertissements à coup sûr, des navets avec certitude. Rien que la vie, mais la vie et non pas sa négation.
Les auteurs vont où les lecteurs vont. Les uns et les autres recherchent la rencontre. Ils vivent en même temps. Quinze mille statuts sociaux sont publiés par seconde. Soit environ l’équivalent d’un livre de mille pages. L’humanité passe plus de temps devant ces textes que devant aucun autre. Pourquoi la littérature ne se saisirait pas de cette possibilité ?


http://www.bordeaux7.com/bordeaux-sorties/3972-festival


Le tweet, nouvel horizon litteraire? L'interview, la vraiePDFImprimerEnvoyer
MERCREDI, 13 MARS 2013 07:00
Quand Jean-Michel Le Blanc ne s’occupe pas du service des correspondants au journal «Sud Ouest», il s’adonne à la twittérature: l’exploitation littéraire des gazouillis du réseaux social Twitter.Directeur de l’Institut de twittérature comparée Bordeaux-Québec, il nous explique la twittérature, de la naissance de sa passion à la création du deuxième Festival international de twittérature, organisé à Bordeaux, le 30 mars prochain, dans le cadre de la Semaine digitale.

Comment a commencé votre histoire avec Twitter, et donc avec la twittérature? 

Je m’y suis mis le 21 juin 2009 précisément, parce que mes collègues de travail avaient un compte Twitter et en parlaient souvent. Ce que j’ai tout de suite trouvé rigolo, c’est qu’on ne puisse écrire qu’en 140 caractères. J’ai réfléchi, et me suis fait le pari de ne faire que des tweets de 140 caractères, pas un de plus, pas un de moins. J’en ai désormais 3000 et ils font tous exactement 140 caractères. Même quand je réponds publiquement ou en privé à quelqu’un. En fait, je me suis servi de la contrainte pour pouvoir m’exprimer et m’amuser. 



C’est une des bases de la littérature, beaucoup de courants se sont définis par leurs contraintes…

Oui, ne serait-ce que la poésie rimée, les haïkus, mais aussi tout ce qu’a développé l’Oulipo (groupe d’écrivains des années 1960 qui stimulait son écriture en s’imposant des contraintes formelles, ndlr). On te fixe une règle et tu t’amuses à délirer dessus. Comme Georges Perec avec «La disparition», le livre qui ne contient pas la lettre «e». C’est dans la même veine. C’est pour cela que l’on peut parler de twittérature: parce que c’est une forme de littérature, mais appliquée à Twitter. Au même titre, il existe plusieurs twittératures, car la contrainte que j’applique est une forme, mais d’autres tweetent des romans, morceaux par morceaux, font des histoires, etc. On peut écrire sous plusieurs formes en se servant de Twitter comme base, et la twittérature regroupe toutes ces formes-là.



Comment est né le Festival international de twittérature? 

C’est le Canadien Jean-Yves Fréchette (twitterateur qui tient le compte @pierrepaulpleau, ndlr) qui m’a contacté. Ancien professeur, il s’est greffé à la délégation québécoise du jumelage Bordeaux-Québec, venue en juin 2010 pour la fête du vin. Il était missionné pour jauger des possibilités de la twittérature dans la pédagogie, c’est à dire de se servir de twitter comme base d’enseignement, via des twittclasses par exemple. Je l’ai hébergé pendant une semaine et on a planché dessus, pour finir par créer l’Institut de twittérature comparée (ITC). Aujourd’hui je préside l’ITC Bordeaux-Québec (asso loi 1901), et lui celle de Québec-Bordeaux. Le but est d’intéresser les gens à la twittérature à travers des manifestations. Jean-Yves a réussi à mettre en place le premier festival de twittérature à Québec en octobre dernier. Il s’appelait «140 max», et s’inscrivait dans le cadre du festival de littérature québécois «Québec en toutes lettres». Il s’est étalé sur toute une journée, et ça a bien marché.



Celui de Bordeaux est donc la deuxième édition? 

Oui, on prévoyait de refaire le festival à Bordeaux en octobre 2013, en s’appuyant sur le jumelage de nos deux villes. La surprise fut que la ville de Bordeaux nous a contacté la première, par l’intermédiaire de Claude Malaison (@Emergent007), un canadien très branché numérique. C’est lui qui a eu l’idée d’inscrire le Festival de twittérature dans le cadre de la Semaine digitale, et nous nous y sommes mis dès le mois de janvier. 



Finalement, il y a beaucoup plus de twittérateurs qu’on ne le croit? 

Des centaines de personnes se servent de Twitter comme outil d’écriture. C’est comme Monsieur Jourdain qui fait de la prose sans le savoir: beaucoup font de la twittérature sans le savoir. C’est sûr «twittérateur» ça fait un peu pompeux comme titre, mais c’est aussi un jeu.


Vous organisez d’ailleurs deux jeux-concours…

Il y a deux concours. Un ouvert aux écoles, relayé par l’inspection de l’académie. Les écoles, collèges et lycées d’Aquitaine peuvent tous participer. Il s’agit de faire un tweet par classe, sur un même thème. On a choisi celui du «pont», en l’honneur du pont Chaban-Delmas qui va être inauguré, bien sûr, mais aussi en référence au pont qui unit les villes de Bordeaux et Québec.
 L’autre concours est ouvert au grand public et aura lieu le 20 mars, pour la journée internationale de la francophonie. Tout ceux qui ont un compte Twitter peuvent participer. Nous évaluerons plusieurs critères, dont celui d’écrire exactement 140 caractères, l’orthographe, le thème du pont, les figures de style, l’originalité etc. Le règlement du concours est composé de 100 clauses de 140 caractères.



Comment procédez-vous pour rédiger vos tweets? 

J’ai toujours un carnet sur moi. J’écris sur tout. Je vois un panneau, je vois une maison, ça peut être n’importe quoi. Ensuite c’est comme un jeu avec moi-même. Je m’écris le début d’une phrase et il faut que je trouve la fin. Ce que j’aime bien, c’est les fins un peu absurdes ou les contre-pieds, voire un jeu de mot un peu bête, ou une blague à deux balles. Des réflexions, une plaisanterie, il y a de tout. À la fin, je vais sur Twitter, et je la calibre en changeant des mots, des adjectifs, etc.



À quel point pensez-vous que la twittérature puisse se développer? 

Ce n’est pas important qu’elle se répande. L’important c’est qu’il y ait des gens qui prennent du plaisir à faire des choses, et d’autres à les lire. Et puis, la twittérature, ce ne sera jamais du Barbara Cartland. Faire de l’eau de rose en 140 signes, ce n’est pas facile.






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Recueilli par Antony Milanesi 



http://www.ladepeche.fr/article/2013/04/12/1604327-twitterature-gadget-numerique-nouvel-avatar-art-bref.html


La twittérature, gadget numérique ou nouvel avatar de l'art du bref ?

Publié le 12/04/2013 à 11:26, Mis à jour le 12/04/2013 à 11:50

Biz Stone, co-fondateur de Twitter, au festival de l'innovation de Tijuana au Mexique,  - Francisco Vega - AFP/Archives
Biz Stone, co-fondateur de Twitter, au festival de l'innovation de Tijuana au Mexique,Francisco Vega
Nouvel avatar de la tradition littéraire du fragment ou gadget numérique appelé à faire long feu? La twittérature, exercice d'écriture qui se joue des contraintes du site de microblogging Twitter, séduit de plus en plus d'auteurs, amusés d'avoir à condenser leur prose en 140 signes.
Twitter voit le jour en 2006. A l'origine, la plateforme gratuite de microblogging, qui rassemble aujourd'hui environ un demi milliard de personnes, est conçue pour l'écriture et la diffusion de messages de 140 caractères maximum.
Mais, petit à petit, un usage alternatif, plus créatif se fait jour et les formules ciselées envahissent la twittosphère, un peu sur le modèle des keitai shosetsu (de "roman"/shosetsu - et "mobile"/keitai), textes japonais rédigés par SMS.
Bien que pleinement inscrits dans le numérique, les twittérateurs revendiquent leur place dans une histoire littéraire jalonnée des contraintes que s'imposent les auteurs, de l'Ouvroir de Littérature Potentielle (OuLiPo) aux cadavres exquis des surréalistes en passant par les haïkus japonais ou les Nouvelles en trois lignes de Félix Fénéon.
"C'est d'abord un clin d'oeil à l'idée que la contrainte est féconde", comme l'a aussi démontré la poésie, observe le twittérateur Jean-Yves Fréchette (@pierrepaulpleau), pour qui "l'origine de la littérature, c'est le lapidaire, inscrit dans la pierre".
En 2010, cet ancien professeur de lettres québecois a co-fondé avec le Bordelais Jean-Michel Le Blanc (@centquarante) l'Institut de twittérature comparée (ITC) Bordeaux-Québec, destiné à promouvoir et développer la twittérature. En partenariat avec la ville de Bordeaux, l'ITC a organisé fin mars le deuxième Festival international de twittérature, après Québec en 2012.
Stratégie du cyborg
De fait, "le style coupé, bref, incisif est très ancien", observe Alexandre Gefen, chercheur au CNRS et spécialiste des humanités numériques, évoquant notamment la tradition moraliste.
"C'est un espace de liberté où différentes formes d'expression sont possibles", entre les tenants d'une écriture "fragmentaire" et les "feuilletonistes, inscrits dans la narrativité", renchérit Jean-Yves Fréchette.
Micronouvelles érotiques, twiller (thriller sur Twitter, inventé par l'Américain Matt Ritchell), microcontes... ont ainsi vu le jour sur Twitter, explique M. Gefen, qui évoque encore la proposition d'écriture d'un opéra interactif sur Twitter lancée par le Royal Opera House de Londres.
L'écrivain Thierry Crouzet (@crouzet) s'est imposé cette double contrainte d'une écriture corsetée en 140 caractères et replacée dans une narration classique. Il en a tiré un polar, "La Quatrième théorie", agrégat de 5.200 tweets sorti chez Fayard. La contrainte "contribue à se dépasser (...) c'est une drogue", analyse l'écrivain, désormais "débranché" du Net et qui vient de publier un livre sur le sujet ("J'ai débranché", Fayard).
Il ne cautionne pas les critiques qui font de Twitter une simple machine à écrire en rafale : "J'ai mis 16 mois à écrire mon roman. Si je l'avais écrit normalement, j'en aurais mis six. Paradoxalement, (Twitter) pousse à l'écriture lente".
A l'instar de Crouzet, quelques twittérateurs ont franchi le pas de la publication, numérique ou papier. A titre d'exemple, deux recueils de microhistoires ont été publiés récemment : "50 Micronouvelles 50 Auteurs" (Thaulk) et "25 histoires, 25 auteurs en 140 ca." (Le Devoir). En 2010, un ouvrage américain, préfacé dans l'édition française par Erik Orsenna, proposait une relecture des "chefs-d'oeuvre de la littérature" par "la génération Twitter".
La twittérature "n'a pas forcément besoin d'être publiée, elle vit sur Twitter", nuance Jean-Michel Le Blanc, apôtre du twoosh, tweet en 140 caractères pile et auteur des "Comptes des 1001 tweets" (L'instant même).
Alors, quel avenir pour la twittérature? Thierry Crouzet se montre dubitatif sur sa capacité à engendrer un courant durable. A ses yeux, le principal apport de Twitter réside dans "l'interaction" avec les lecteurs qui participent en temps réel à l'écriture via leurs tweets : "Ils ont augmenté la taille de mon cerveau (...) C'est la stratégie du cyborg", glisse l'écrivain.
"Il peut y avoir une lassitude de l'outil", consent Alexandre Gefen. Reste que "cela correspond à une tendance très, très profonde de la littérature que d'accompagner notre quotidien de réflexions" lapidaires.




Ce que les réseaux font à la littérature. Réseaux sociaux, microblogging et création
ALEXANDRE GEFEN, Université de Bordeaux, EA 4195 TELEM 


Cette difficulté d’analyse et cette incompatibilité avec les catégories natives de littérarité issues de la philosophie kantienne du beau, philosophie de l’art ne discriminant pas, comme l’a montré Jean-Marie Schaeffer, évaluation et définition3, et renvoyant mécaniquement les productions numériques au rang de publications de circonstances infraculturelles, s’accroissent encore si nous réfléchissons à de cette forme si originale qu’est le microblogging, à savoir ces écritures de soi brèves (limitées à 140 caractères sur Twitter), en flux (c’est-à-dire insérées dans un continuum à la fois horizontal et vertical d’autres microtextes), asynchrones (à la différence des dispositifs conversationnels offerts par les messageries instantanées), telles que des outils sociaux comme la plate-forme sociale intégrée Facebook, l’agrégateur Friendfeed, l’outil discussion en réseau Twitter ou son alternative ouverte Identi.ca, les produisent4. À la différence du blog par fragments brefs dont on peut les rapprocher (je pense à la pratique Éric Chevillard dans « l’autofictif » 5, énigmatique chronique intérieure en forme de notules poético-ironiques journalières), ces pratiques de microblogging se caractérisent par plusieurs spécificités fortes. En premier lieu, elles relèvent d’une écriture par « statuts », détournant un dispositif pensé pour le maintien a minima de relations sociales dans une communauté et destiné assurer la continuité du groupe dans sa mobilité territoriale. Elles s’inscrivent dans une sorte de mi-chemin entre le public et le privé, l’informationnel et le communicationnel, dans une forme de communication par broadcast qui n’est ni la publication éditoriale classique, ni sa modalité revuiste, ni le dialogue, ni la conférence : les messages émis par Twitter sont publics, mais noyés dans une masse que seuls un travail de regroupement volontaire par mots-clés (hashtags) ou l’œuvre hasardeuse de la sérendipité6 peuvent démêler ; ceux de Facebook s’adressent à une communauté lectorale choisie et resserrée, mais conservent toute fluidité en ne visant pas de destinataire précis7 : ils rencontrent donc une communauté interprétative à la fois locale et mondiale, un sens à la fois public et privé, un auditoire présent en temps réel et à venir par archivage et indexation, toutes formes d’articulation de la parole et de sa réception éminemment originales dans notre histoire culturelle. Dans ses modalités énonciatives, l’écriture par Twitter relève d’un détournement d’une technologie au profit d’un désir d’écriture : celle de produire une théorie d’états d’âme, une météorologie de l’humeur et du lieu, un flux atomistique d’autant plus transitoire qu’elle accepte de dissoudre sa propre voix dans bruit immense de la présence textuelle numérique d’autrui. Cette discontinuité, qui interdit de constituer le texte en une nappe unifiée dont la lecture serait prévisible et maîtrisable, produit des fragments qui s’exposent et se détachent poétiquement de la temporalité énonciative globale de la timeline sociale pour acquérir une portée expressive. C’est aussi que les gazouillages des tweets et autres statuts sont indissociables des rétroactions, gloses, expansions poétiques, croisements qu’ils engendrent : du «tumulte» du corps social qu’ils recherchent pour employer une expression de François Bon, leur poéticité est celle de nœuds, d’interstices, de brouillage par interférence, où la littérature se crée par une autre forme d’universalisation du privé que celle, supposément maîtrisée, à laquelle nous sommes habitués.
 


Une littérature à contrainte
La littérature investit les dispositifs techniques variés qu’elle rencontre, tendance renforcée par le goût moderne du formalisme, qui a vu avec les différentes formes de littérature à contraintes et de littérature à programmes les écrivains inventer leurs propres servitudes. Ainsi le défi présenté par le microblogging, dont l’extrême brièveté est aux antipodes de la tradition livresque du grand roman, a été en quelques mois l’occasion de productions ayant pour point commun un jeu avec la brièveté et la réhabilitation8 d’une tradition d’écriture lapidaire ou fragmentaire ayant fourni dans le passé d’innombrables formes, aussi bien poétiques que réflexives ou narratives, de la maxime au haïku, de la « microfiction » à la Régis Jauffret aux « nouvelles en trois lignes » à la Félix Fénéon (dont les récits ont d’ailleurs été « twitterisés »9.
Je serais enclin à distinguer néanmoins entre deux types de pratiques : celle consistant à imposer une contrainte de lecture d’un récit produit sans appui sur son support et celle consistant à produire le texte dans l’espace même de l’outil de microblogging. On trouvera un bel exemple d’une telle opposition entre Le Paradisier de Frédéric Clément (auteur illustrateur de Magasin Zinzin, de Muséum et des Songes de la Belle au Bois dormant notamment) sous-titré « roman flottant distillé par Twitter »10 dont le rythme est donné par le croisement de textes sur Twitter (rediffusés sur Facebook) et d’extraits sonores donnés sur le site de partage musical Myspace et Bashô, recueil poétique écrit par Françoise Kérisel et illustré par Frédéric Clément à paraître chez Albin Michel dont des extraits sont donnés sur Twitter en seconde intention et à des fins publicitaires. Certes, il serait sans doute injuste de sous-estimer la productivité heuristique du découpage par Twitter : une aventure comme celle de la republication de la partie relative au voyage en Russie du Journal de John Quincy Adams11 par une société historique prend la tournure d’une entreprise poétique éminemment suggestive (prenons l’exemple de l’entrée Twitter du jour où cet article a été écrit « 10/5/1809 : Sailed from Elseneur. Passed by Hveen Island and Copenhagen, over the Grounds. Saw Falsterbo Light »), tandis que la version destinée à être donnée sous forme de statuts Facebook d’Hamlet de Shakespeare proposée par Sarah Schmelling12 est à la fois le lieu d’une mise à nu du texte propice aux microlectures dans la tradition de Pour comprendre « Hamlet » de John Dover Wilson et de son successeur Pierre Bayard13 et d’une hilarante récriture digne du Rosencrantz et Guildenstern sont morts de Tom Stoppard. Ainsi du début du texte, en six statuts :
Horatio thinks he saw a ghost.

Hamlet thinks it’s annoying when your uncle marries your mother right after your dad dies.
The king thinks Hamlet’s annoying. Laertes thinks Ophelia can do better. Hamlet’s father is now a zombie.
Le cas des formes brèves inventées ou réinventées dans l’espace même des outils de publication Twitter est sans doute quelque peu différent. J’ai déjà évoqué le blog L’Autofictif d’Éric Chevillard, qui, loin de se contenter des ressources désormais communes de l’autofiction, use du caractère séquencé de sa publication pour instaurer un désordre quotidien, une discontinuité stylistique et humorale dans le continuum de la page, et produit une théorie d’incongruités dont l’incidence est d’autant plus directe que les notules produites par Éric Chevillard peuvent être intégrées par un fil de syndication RSS aux plateformes agrégées par lesquelles notre accès à l’actualité de l’Internet se fait de plus en plus souvent (Google Reader, Netvibes) ou directement dans les navigateurs Web ou les clients email proposés par plusieurs systèmes d’exploitation, et ainsi s’insérer dans notre quotidien. Prenons, une fois de plus au hasard, l’exemple du fragment 682 publié le dimanche 4 octobre 2009 :
C’est aussi simple que cela : dès que quelqu’un émet une proposition, le monde se scinde en deux camps : ses partisans et ses adversaires (mais j’entends déjà que des voix le contestent).
Au réveil, la paupière du bœuf se soulève sur l’œuf du jour.
Avec empressement, j’ai saisi la perche qu’elle me tendait. C’était le manche du râteau.
L’écriture de l’absurde, le détournement comique de l’aphorisme sérieux, la parodie de verset poétique visionnaire se renouvellent dans l’interlocution et le rythme que leur confère leur publication quotidienne et l’éthos simple et direct supposément propre au blogue. Même si une partie des textes d’Éric Chevillard ont connu une publication en livre, le refus de toute téléologie au profit des logiques insoumises et incoercibles du langage trouve dans l’écriture non totalisable d’une page, infinie, car quotidiennement modifiée – et en quelque sorte quotidiennement sorte rejouée –, une forme idéale.
La contrainte de brièveté que s’impose Éric Chevillard n’est en rien un impératif technique, à la différence de l’écriture sur Twitter, libre de son rythme, mais cantonnée à 140 caractères. La production y invente des dérivés de formes
traditionnelles, comme le Twaïku14 en poésie ou le Twiller en matière de roman – je passe sous silence d’autres formes comme celle du microconte ou de la minipoésie érotique15, ou encore l’étonnante proposition d’écriture d’un opéra interactif sur Twitter lancée par le Royal Opera House16. Le genre du Twiller a été inventé en 2008 par Matt Ritchel17, journaliste au New York Times qui justifie son dispositif (inspiré du film de Christopher Nolan Memento) en imaginant un personnage amnésique qui reprend conscience isolé dans le désert avec comme seul moyen de communication pour raconter et reconstruire son histoire qu’un smartphone avec accès à Twitter. La forme prend vite son autonomie, trouve son succès18, et se trouve reprise par des auteurs français attirés par la tradition oulipienne et en particulier le néo-auteur Thierry Crouzet et son roman de gare décrété sans ambition littéraire Croisade19, le roman écrit par LeRoy K. May et Éric Bourbonnais Buboneka20. On retrouvera également sur Twitter des formes variées de romans-feuilletons usant de la publication différée pour créer du suspens: Thomas Drimm de Didier van Cauwelaert21 ou encore Le Roman d’Arnaud, qui se veut un « roman 2 .0 » en reprenant le sobriquet par lequel le web social se trouve souvent affublés et propose le dispositif suivant :
Trois auteurs, Gwen Catala, Christophe Sanchez et moi-même, blogueurs impénitents, auteurs convaincus que la lecture numérique va nous inciter à créer de nouvelles façons de raconter des histoires, vont se relayer pendant 40 jours et 40 nuits pour écrire un roman sur une page de fan Facebook et sur Twitter. 6 à 8 fois par jour, à des heures régulières, les statuts de la page du Roman d’Arnaud vont être mis à jour. Chaque auteur disposera de 420 caractères par statut pour faire évoluer l’histoire. Les lecteurs/fans pourront soit lire à heure fixe les mises à jour ou lire tout d’un seul trait à la fin de la journée. Ils pourront faire évoluer l’histoire en inscrivant des commentaires. Nous vous réservons d’autres surprises tout au long de cette expérience numérique.22
Quoi qu’on pense de l’ambition du « roman 2.0 » à modifier des pratiques de lectures pluriséculaires et à répondre à nos besoins de narration, toutes ces expérimentations, parfois proche des installations artistiques de l’art contemporain23, se distinguent par le degré d’interaction qu’elles ménagent avec leurs utilisateurs, qui peut aller d’une publication signée et contrôlée à une l’écriture à plusieurs voix en passant par le dialogue avec ce que Frédéric Clément nomme ses « souffleurs » ou encore l’insertion conditionnelle du discours d’autrui après un processus de vote. Selon leurs protocoles d’interactivité, elles se différencient selon leur degré de linéarité (roman réorganisé a posteriori vs. roman à bifurcations borgésiennes), et corrélativement selon la relation qu’elles entretiennent avec le roman papier, que Twitter constitue un modèle alternatif aux expérimentations de livres à plusieurs voix menées sur le Web depuis plus d’une décennie ou un simple outil de diffusion de l’œuvre auctoriale maîtrisée et fermée.
Une littérature sans contrainte
L’une des originalités les plus profondes du Twaïku ne tenait ni à sa forme ni à son médium, mais à la possibilité offerte par ce que l’on appelle les hashtags24 de rechercher et d’identifier des poèmes produits n’importe où dans le réseau sans connaissance préalable de leur auteur, et, en quelque sorte, de pouvoir constituer des constellations et des recueils poétiques totalement disjoints, à rebours des modes d’auctorialité convenus. En faisant jouer à plein la sérendipité, Twitter autorise la production de dispositifs accumulatifs contrôlés (comme le projet de créer le plus long poème du monde sur Twitter25, poème qui comporte, à la date où cet article est écrit, plus de 520 000 vers) ou libres, par croisement a posteriori et invention d’une totalisation de circonstance.
Or le web 2.0 conduit ces évolutions fondamentales que sont la collectivisation des contenus (permise par ce que l’on appelle le cloud computing) et la socialisation de l’universel reportage jusqu’à un point plus troublant encore : la littérature y acquiert la capacité de sortir des espaces pensés pour l’expression littéraire, de s’installer, sous forme de jeux de mots, de plaisanterie, de dialogues théâtralisés, de poèmes, ou d’une expression dénudée de la souffrance, à l’intérieur des dialogues sociaux. Le web de seconde génération est un web du flux, un web sans web, où même le support numérique s’est dissous26, sphère dialogique en mouvement où la littérature s’instille dans la dynamique des liens. Resocialisation de l’expression poétique et du fait littéraire en général autant que poétisation des relations sociales, la littérature renaît avec la conversion textuelle de notre relation induite par leur basculement dans cet empire du texte qu’est le web. Qu’elle emprunte la puissance des mécanismes dialogiques sur Twitter, et les possibilités de critique par « commentaires » à valeur métatextuelle ou intertextuelle sur Facebook, la littérature renaît de notre besoin d’enrichir et de spiritualiser les échanges en investissant un espace où tous les déplacements esthétiques, tous les jeux textuels et les inserts poétiques sont possibles. Technique de manipulation symbolique des états, de transformation formelle des sentiments et des idées, de la production de mondes possibles à partir des lacunes du réel, l’écriture trouve dans l’accès que lui offre les réseaux sociaux à notre intimité et à nos affects un espace privilégié où se réaffirme et sa puissance et son universalité. Devoir passer par l’écrit pour transmettre un événement, un lieu, un état d’âme, médiatiser son existence, projets ou amours, dans un espace scriptural public, rendre ses humeurs et ses émotions amplifiables ou « commentables » par d’autres textes, conduit à réaffirmer comme jamais la séduction triomphante, l’efficace, la disponibilité infinie du style et de la fiction. Loin d’être l’empire du trivial et de l’éphémère, cette littérature généralisée joue autant des pouvoirs d’amplification (ce que l’on pourrait nommer une microrhétorique), comme ceux de la dissimulation ou de l’ombrage : elle amplifie ou au contraire voile, les statuts et les tweets tour à tour avouent et dissimulent, confessent et commentent, cryptent et décodent, précisent et développent, basculent dans la fiction ou exhument les références, s’attachent au temps long, à la mémoire, fixent des états à valeur paradigmatique ou scandent les passages.
Je prendrai ici quelques exemples de fil de discussion issus de Tweeter et de Facebook – par respect du caractère privé des certaines discussions, les noms ont été remplacés par des initiales ; on notera par ailleurs que les extraits cités ici ne restituent que très partiellement la richesse dialogique des discussions en n’incluant ni les commentaires, ni les remarques d’appréciation, ni les médias, extraits vidéo ou audio qui constituent souvent la sève – pour ces mêmes raisons, comme pour des impératifs techniques, l’adresse bibliographique des ces travaux ne saurait être donnée. Ici, par exemple, tel écrivain (proche de la revue Inculte) ironise sur l’existence :
ML constate que l’atelier des affects improbables n’est pas un open-space
avant que proposer une brève épiphanie poétique :
ML s’abritant sous une ombrelle mauve du soleil qui passe
Tel autre auteur de la même sphère commente énigmatiquement sa vie :
OR va tout péter si vous touchez au fruit de ses entrailles
Tel blogueur et poète joue des métalepses :
IS couché sur le papier
Telle blogueuse réputée accumule les jeux de mots et les formules énigmatiques :
LL sabre et muse en Aragonne.
[...]
LL Sous aucun prétexte.
Tel autre écrivain, dans l’orbite de Léo Scheer, profite des Facebook pour produire des instantanés :
ET Tout le corps tendu que cingle la neige se raidit et tend vers la tâche.Et certes, l’on voudrait mourir.
ET Elle redescend l’escalier, tenant la rampe, sans toutefois vous quitter du regard et, comme l’on fait un pas pour la suivre, Mimose retire l’escalier et vous sourit à son tour, bras croisés comme devant, en armes, au bord de la falaise que lèche une mer grise.
Tel romancier et brillant traducteur mêle à l’ironie politique de la pasquinade27 de cryptiques et suggestives notations sur son travail littéraire,dans un fil de microblogging si éblouissant qu’il a acquis en ligne une certaine célébrité : MC est un territoire très occupé.
MC se demande si le petit Sarkozy ira en scooter à la Défense. MC taille une tornade.
MC déracine un opuscule.
MC attaque mars en octobre.

Cette verve formulaire n’est ni propre à des blogueurs consacrés ni à des écrivains déclarés, car innombrables sont les « fils » où les vies ordinaires acquièrent une densité inédite par la récriture, ainsi d’un autre chronique en ligne célèbre, tenue par une jeune universitaire :
AA en est au stade où on oublie qu’on oublie
AA a passé la nuit la plus féline du monde et va peut-être se recoucher tandis que les fauves mangent, les champs brûlent, etc.
AA célèbre un mariage improbable et illimité
Cette intensification scripturale des mots intérieurs et cette transmutation en énigmes et symboles des realia ordinaires vient couronner la longue ascension du quotidien comme objet digne de la littérarité28 ; elle touche à la littérature par l’ouverture faite à l’interprétation et à la glose, comme par un possible réemploi dans notre propre expérience, les bénéfices heuristiques et cognitifs de la mise en partage des sentiments et réflexions de celui qui les expose ne lui étant pas limités. Les commentaires (sur Facebook) et autres reprises sous la forme de citation (les « retweet » de Twitter, c’est-à-dire la redistribution virale d’un message) prennent une place essentielle : loin de se limiter à un rôle de médiation entre l’espace du privé (opaque) et espace public (transparent), ils peuvent réinterpréter, surinterprétrer, mésinterpréter, contre-interpréter, déplacer la parole initiale, à la manière des brillantes conversations de salon du XVIIe siècle29. Prenons quelques exemples, d’abord du côté du plaisir propre à l’esprit d’escalier :
MC va aller dévaster quelques livres qui l’ont bien cherché.
CL > Il faudrait dévaster Flatland, Flatland l’a bien cherché. Et après le Grabinoulor. Et après John Kennedy Toole. Et après Nabokov.,
[...]
MC demande des souvenirs à la pluie.
>DD... et les nuages de les distiller au goutte à goutte ! >IV bien vu puisque l’eau tonne ;-)
[...]
MC Repasse et manque.
NT >... le pli.
NT >de fer ?
ST > il est repassé et nous manque terriblement...

Ailleurs, ce seront tels commentaires d’une photo du passage Pommeraye sur le blog d’une artiste à la mode qui donneront l’occasion de renarration :
PCL J’ai connu un fou bloqué sous acide qui y faisait la manche en y rejouant des scènes de Titanic qu’il savait par coeur.
AJN "Da, da ", comme je te répondrais si j’étais Russe...
Plus loin, tel écrivain plaisante :
ME rêverait de s’appeler Ödön von Horváth.
SD Et d’aller voir Fantasia au cinéma.
ME Je ne vais jamais aux Champs-Élysées, à part pour acheter un billet d’avion chez Iran Air, ce que je me garde bien de faire. Donc aucun problème, je suis immortel.
L’attestation référentielle se mêle à l’exploration métaphorique :
OR et nous ne tomberons jamais seuls
>JJ voir beckett in "Tous ceux qui tombent", petit film rare, une perle... >KM "réussir à chuter vers le haut"

Jusqu’à côtoyer l’hermétisme poétique sur le « fil » d’une poétesse élégante blogueuse à ses heures perdues :
DH n’aime plus les crépuscules, préfère l’aurore.
DH et pourquoi pas une minute de silence ?
>ÉL 5 minutes de musique – ou 4’33"
Ailleurs, telle universitaire anonyme dialogue avec un écrivain célèbre à propos de mystérieux « fossiles » dont le point de référence et l’histoire enfouie sont à la fois hors de portée de la parole et au cœur d’un développement métaphorique :
ML found fossils in her playground.
>HK C’est le lot de tous ceux qui écrivent.
>>> ML J’espère ne pas mettre au jour que des choses pétrifiées.

Le jeu de miroitement de l’énigme et de l’allusion – dont le destinataire réel peut rester un observateur extérieur et le secret aussi profondément enfoui que celui des sonnets de Shakespeare –, les pièges interprétatifs et leurs nécessaires mésinterprétations, le jeu parfois énigmatique des pseudonymes lorsque des entités abstraites ou des écrivains du passé prennent la parole, sont la matrice d’une poétisation générale de l’expérience que son ouverture sémantique et métaphorique rapproche de ce que nous avions l’habitude d’appeler « littérature ».
Plusieurs projets novateurs d’ateliers littéraires numériques émergents (aux éditions Léo Scheer ou en ligne sur Publie.net) et nombre des écrivains les plus brillants de leur génération (Éric Chevillard, Emmanuel Tugny, Matthieu Larnaudie, Olivier Rohe, etc.) s’approprient le microblogging, au moment même où des communautés littéraires non professionnelles comme celle polarisée par Remue.net entament simultanément l’hybridation de l’écriture numérique et des ateliers d’écriture traditionnels et un travail de réflexion sur leurs pratiques – auquel cet article doit beaucoup, qu’il s’agisse de reconnaître et de pérenniser certaines pages poétiques issues des flux30 ou de penser le statut référentiel des tweets, comme dans l’échange que j’ai mené pour ce travail avec la communauté remue.net :
Quelle différence entre @remuenet @agefen Twitt litt c’est effort au style, dans l’élégance ou la rupture sinon lire, écrire, rêver, dormir, tout ça se fait en 140.
Aucune, évidemment, nulle différence entre la vie, le net, l’écriture, la lecture, la littérature sinon que soleil brille dehors 140
Ou avec François Bon, qui insiste sur la novation radicale constituée par ces écritures en flux du corps et de l’âme mêlés off world :
fbon @agefen 1/2 « toute littérature est assaut contre la frontière » Franz
Kafka, je pensais à toi : le microblogging devient forme littéraire
fbon @agefen 2/2 quand le blog ou le twit ou le FB s’oriente intentionnellement vers la frontière, et non quand il mime roman ou pose à l’auteur
Nous sommes ici dans un territoire inédit, bien plus déconcertant pour notre culture lectoriale et nos axiologies que celui des simples fictions hypertextes31 qui relèvent, me semble-t-il, d’œuvres faussement ouvertes et de la continuation d’une forme de poétique de la nécessité cachée derrière de superficielles innovations. Tenter de ramener au modèle ancien du livre32 ces « fils » de discussion où les acteurs remplacent le support, où le flux même est le contenu, la dynamique la poésie, où commentaire et lecture, compréhension et récriture d’indifférencient, est sans doute infiniment limitatif. Ce sont plutôt les cartes de visite cornées de Mallarmé et ses « éventails », les envois et ex-libris de Larbaud, les bons mots des moralistes classiques, les gloses infinies de Montaigne, les rhizomes de Deleuze et Guattari qu’il faudrait invoquer33.
Les lignes de force et les dispositifs de Tumulte pointent du doigt, par défaut, l’ordinaire des couplets, rengaines et complaintes, sur la fin et/ou le retour du roman. En refusant de simuler une continuité narrative, en maintenant la distinction entre figuration et fiction de soi et des autres, en faisant coexister temps de la réalité, de l’écriture et de la narration, celui-ci, par l’acuité et la célérité avec lesquelles sans cesse il expérimente l’épaisseur du monde et la matière de la langue, approche au plus près du point de contact entre soi et le réel, jusqu’à l’acte littéraire.34
suggère François Bon à partir de l’expérience de Tumulte, elle-même antérieur au web 2.0. Abandonnant en chemin la sacralité intransitive de la parole et les structures formelles propres à la littérature industrielle pour retrouver des pratiques de dialogue communautaire et d’invention collective plus anciennes et réinscrites dans le continuum des échanges sociaux et de la vie morale individuelle, le microblogging, nous plonge dans un univers de flux où l’écrit est en attente d’échos et la vie relationnelle en demande de parole, que l’on n’y voit ou non, comme le suggère Nicolas Gary, l’avenir de l’écriture35. Et dans cette conversion numérique de l’expérience humaine36, c’est peut-être à une extension immense du champ de la littérature et à une réoccupation complète d’un exercice esthétique supposé misanthrope que nous assistons.
***
Tirer les conséquences sur notre théorie de l’œuvre et de l’auteur de la dimension interactive et communicationnelle du microblogging littéraire, renoncer à opposer média, normes techniques et contenus, intention et expression, identité singulière et médiation collective, telles sont, quoi qu’il en soit, les conditions de nécessité pour penser l’intérêt esthétique de cette pratique et en comprendre les modes de généricité. C’est alors renverser certains des traits définitoires traditionnels de la littérature (comme acte de création individuel indifférent à son support et intentionnellement destiné à être publié et lu de manière universelle, définition dont on sait au demeurant les difficultés à caractériser comme littéraire L’Iliade et L’Odyssée, les vies de saints médiévales, les Pensées de Pascal, les romans baroques mondains, les Mémoires historiques de Saint-Simon, la Correspondance de Flaubert, etc.) au profit d’une vision qui fait de l’œuvre un dispositif sémiotique original, un artefact, dirait Roger Pouivet dont nous suivons mutatis mutandis ici les propositions37, profondément inscrite dans un contexte historique, dépendante d’un croisement d’intentions parfois imprévisibles et en négociation constante avec ses supports.
Tirer les conséquences esthétiques de notre immersion dans les pratiques d’écriture numérique et observer les premières générations d’écrivains nés à l’internet, peut nous conduire à penser en terme d’émergence, d’innovation formelle, de contamination, d’influence indirecte, de déplacement. Que l’amont de la création (l’information existentielle), le processus de celle-ci ou son aval, les espaces de diffusion et usages soient affecté par la conversion numérique, nous conduit certes à historiciser le fait littéraire, mais aussi à en reconnaître, dans cette esthétisation du particulier et cette ostentation de soi38 qui sont peut-être des traits déterminants de la modernité, les facteurs de continuité. Car le web 2.0 dont les caractères sont bien connus (interactivité accrue, personnalisation d’accès, transversalité communautaire, sémantisation croissante, diffusion dans les objets) et rapproche paradoxalement, on l’a vu, l’écriture virtuelle de nos usages conversationnels et de nos échanges affectifs communs, aligne le web sur le quotidien et en diminue la rugosité technologique : la pénétration de plus en plus profonde, de plus en plus ubiquitaire du numérique, qui nous escorte dans les pratiques les plus ordinaires et les plus intimes de lecture et de rédaction, s’accompagne inversement d’une humanisation et d’une socialisation croissante des techniques. Ici, le virtuel numérique poursuit le vieux fantasme d’abstraction et de dématérialisation propre à la fiction, à la fois anneau de Gygès, dispositif d’accès à la conscience d’autrui, production d’une réalité augmentée ou d’une réalité réparée, mémoire communautaire et machine à produire récritures, liens et analogies, arbre textuel immense nous tenant hors le monde, tout en supportant notre désir de possibles :
What miracle is this? This giant tree.
It stands ten thousand feet high

But doesn’t reach the ground. Still it stands. Its roots must hold the sky.39 

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