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dimanche 19 mai 2013

Règles, codes de la twittérature




Pratiquer la twittérature procure des sensations extraordinaires, dignes des drogues les plus stimulantes et hallucinantes. Trois effets se conjuguent pour aboutir à cette alchimie stupéfiante.
  1. Contrainte. Elle change la perspective de l’auteur, lui donne à voir la réalité et son écriture sous un angle inhabituel.
  2. Live. Le lecteur guette les tweets, pousse l’auteur à l’excellence, lui donne un sentiment d’urgence.
  3. Interaction. Les liens soumis sont autant de visions, de déviations, d’incitations pour l’auteur à s’écarter de sa pente naturelle. Ils le soumettent à un bombardement corpusculaire ininterrompu qui engendre sans cesse des mutations inattendues dans sa pensée.
Malheureusement, cette drogue perd de jour en jour de sa puissance. Même si l’auteur n’a pas beaucoup d’amis, eux en possèdent en assez grand nombre, pour être distraits de sa prose. Ils suivent les stars, les politiciens, les médias. Les fenêtres des immeubles d’en face ne cessent de s’ouvrir et les gens de crier des insultes ou de prétendues blagues. Impossible de ramener le silence sur Twitter. Le vacarme s’amplifie. Il nous fera bientôt tous exploser de stress. Rien de bon pour un auteur venu chercher la stimulation ultime.
Si la contrainte subsiste, le live met l’auteur en concurrence avec les chats écrasés, l’interaction s’amenuise faute de temps, temps dévorés par les millions de stimulus contradictoires. La nanolittérature dans toute la largeur de son spectre ne peut plus se pratiquer sous Twitter. Il faut aller l’expérimenter dans d’autres régions du Web, qui elles-mêmes ne peuvent rester à l’écart du bruit en croissance exponentielle, et dont il est presque impossible de se protéger, si on reste connectés aux réseaux sociaux.
La littérature sociale est donc morte sous sa forme stupéfiante. Elle est devenue jeu ou coup marketing. Elle n’est donc plus littérature exploratoire. Il nous faut encore une fois inventer autre chose, découvrir un nouveau speed que le bruit ne transformera pas en migraine.
La twittérature n’aura ouvert qu’une brève fenêtre dans l’histoire de la littérature à contrainte, comme le cubisme dans l’histoire des arts plastiques. Terminé, plus rien à voir. Cherchons ailleurs les paradis numériques artificiels.







http://blog.tcrouzet.com/2012/12/06/interdire-cest-liberateur-meme-en-ecriture/

Interdire, c’est libérateur… même en écriture

Thierry Crouzet - Jeudi 6 décembre 2012, 16:18 - 265 lectures

C’est un papier sur la littérature, mais je le commence par une leçon adressée aux ultralibéraux qui ne me trouvent pas assez libéral à leur goût.
Quand nous nous déplaçons en voiture, en vélo, en moto et même à pied, nous respectons plus ou moins le code la route. Nous nous soumettons à cette contrainte parce qu’elle réduit les risques d’accident. Quelques règles de bonnes conduites nous libèrent, étant entendu que morts nous ne sommes plus libres. Une règle n’est pas nécessairement privative (même si bien sûr elle peut aussi l’être).
Quand on laisse un système totalement libre, il peut engendrer des aberrations. Sur les réseaux, on a la fameuse loi : The winner takes it all qui nous donne des Google, des Facebook, des Apple… J’ai beau être libéral, cet état de fait me dérange. Parce que je sais que plus on a de pouvoir, plus on en veut et qu’ainsi la dictature pointe son nez.
Pour maximiser notre liberté sur le réseau, il faudrait empêcher que The winner takes it all. Cela pourrait se faire à l’ancienne, avec des lois coercitives que j’ai tendance à réprouver, mais aussi par une action individuelle de type boycott. Cette contrainte serait libératoire.
J’en arrive à la littérature. Quand j’ai écrit La Quatrième Théorie sur Twitter, j’ai contraint mon style, je ne l’ai pas bridé, je lui ai ouvert de nouvelles possibilités qui d’habitude m’étaient interdites. Pour essayer d’évaluer l’influence réelle de la contrainte, j’ai bidouillé une Web app qui évalue la répartition des phrases d’un texte en fonction de leur longueur. Pour le tester, j’ai commencé par deux classiques qui m’ont beaucoup influencé, puis j’ai pris des textes que j’aime bien, puis je me suis attaqué aux miens.

Proust, Du côté de chez Swan

Ce graphique assez plat nous montre que Proust utilise des phrases de toute longueur. C’est un auteur à très large spectre. Pas étonnant pour un maître du pastiche.

Flaubert, Salammbô

Graphique plus compact. Plus de retenue dans la longueur. Mais comme chez Proust, les phrases entre 40 et 80 caractères de long sont les plus fréquentes.

François Bon, Autobiographie des Objets

Graphique très proustien chez François, ce qui n’est pas une surprise. Il se revendique de la phrase ample. Et d’ailleurs, son pic de longueur s’établit plus loin que ses deux illustres prédécesseurs.

Stéphane Michaka, Ciseaux

Graphique très resserré. En fait, ce livre aurait pu être écrit sur Twitter. Pratiquement aucune phrase ne dépasse les 140 caractères. Le pic de Stéphane se décale vers le bref, à l’inverse de François, pas surprenant pour un livre sur Carver et le minimalisme.

Ayerdhal, Transparence

Accroche tôt comme Stéphane, mais descente beaucoup plus en douceur, très harmonieuse, presque classique.

Crouzet, Le peuple des connecteurs

J’écris cet essai avant d’ouvrir mon blog, avant les réseaux sociaux, je suis adepte de la phrase ample. Ma stance moyenne est plus longue que celle de Proust et de Flaubert, équivalente à celle de François.

Crouzet, La Quatrième Théorie

Ce graphique diffère du précédent. Twitter comprime mon style, le ramène vers la brièveté. On retrouve la même silhouette que chez Stéphane, signature d’un style minimal et mitraillé. Et comme par hasard, on a la même éditrice chez Fayard.

Crouzet, Ératosthène

Sur ce livre achevé en octobre dernier, mon style s’est à nouveau épaissi, sans pour autant retrouver son épaisseur initiale. Le voyage en twittérature m’a marqué durablement.



http://blog.tcrouzet.com/2012/11/09/lettre-a-un-jeune-twitterateur/

Lettre à un jeune twittérateur

Thierry Crouzet - Vendredi 9 novembre 2012, 15:13 - 422 lectures
 
Alors que la twittérature semble de plus en plus à la mode, Twitter organise un concours de nouvelles. Avis aux volontaires.
Comme j’ai pratiqué l’exercice durant seize mois lorsque j’ai écrit La quatrième théorie, roman qui sortira en avril prochain chez Fayard Noir, j’ai eu l’occasion de découvrir quelques-uns des mécaniques propres à l’écriture à contrainte sur Twitter. Autant les partager.
  1. Ne comptez pas innover en écrivant sur Twitter. C’était nouveau en 2008. Mais foncez, l’exercice est jouissif.
  2. Découper en tweets un texte existant n’a aucun intérêt. Imposez-vous la contrainte des 140 caractères, ne trichez pas. Écrivez dans la fenêtre de Twitter ou d’une app. Votre style prendra un coup de boost. Twitter est l’équivalent contemporain de la versification. Une contrainte en remplace une autre.
  3. Twitter est un réseau social. Quand vous écrivez, vous êtes lu en temps réel. Restez à l’écoute des lecteurs et prenez en compte leurs remarques pour infléchir votre narration. Imaginez que vous êtes le maître de jeu d’une partie de Donjons & Dragons.
  4. Ne publiez pas des dizaines de tweets à l’heure. Vous fatiguerez vos amis et leur couperez toute envie de réagir. De décembre 2008 à avril 2010, j’ai mis 463 jours à écrire La quatrième théorie et j’ai envoyé 5200 tweets, soit 11,2 tweet par jours, l’équivalent d’une page de roman. Vous pouvez augmenter la cadence, mais n’abusez pas. Le concours dure cinq jours. Si vous postez trente tweets par jour, vous obtenez 21 000 signes, taille raisonnable pour une nouvelle.
  5. Chaque tweet doit être une histoire en lui-même. Dans un dialogue, on doit avoir une réplique complète. On doit savoir qui parle à qui. Les actions commencent et finissent dans un tweet. Sinon les amis ne peuvent comprendre, ni être intrigués.
  6. Sur un blog, il faut reconstruire dans l’ordre chronologique le texte en cours, pour que les nouveaux lecteurs puissent prendre le train en marche. À l’époque, j’avais programmé un automate qui récupérait tweets et commentaires et les republiait sur un WordPress. Aujourd’hui, avec IFTTT, il vous faudra quelques minutes pour concocter une mécanique efficace.
  7. Le premier twittérateur, Matt Richtel, avait imaginé que son personnage principal était prisonnier et ne pouvait parler que par SMS. Cette contrainte ne me paraît plus nécessaire. Il faut se placer résolument à la suite de l’Oulipo, prendre la limite des 140 caractères en tant que jeu littéraire.
  8. Méfiez-vous. La twittérature est hautement addictive. Quand on commence, on ne sait pas quand on s’arrête. Beaucoup de gens font l’éloge de la forme courte chère à Félix Fénéon, mais rien n’empêche de mitrailler un énorme livre en salves de 140 caractères. On peut aussi faire du long avec du court. C’est une contrainte ajoutée à la contrainte.

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